Les collectivités territoriales : Une alternative au fléau migratoire intense et continue.
L'administration des collectivités territoriales est l'autre volet de l'Administration Publique Nationale, qui est quasiment dysfonctionnelle[1]. La loi haïtienne a reconnu une administration de deux branches dans laquelle le Premier Ministre est le chef de l'administration d'État[2] et l'administration des collectivités territoriales est assurée par le Conseil Interdépartemental[3]. Ce dernier est inexistant faute des élections indirectes devant compléter les organes des collectivités territoriales notamment les conseils départementaux (CD) et les Assemblées départementales (AD)[4].
C'est la Constitution du 29 mars 1897 qui a doté l'État haïtien d’une administration publique nationale et cette administration a deux branches. Par conséquent, la fonction publique territoriale prise en compte dans le préambule de la constitution du 29 mars 1987 dans l’objectif d’ « instaurer un régime gouvernemental basé sur les libertés fondamentales et le respect des droits humains, la paix sociale, l’équité économique, la concertation et la participation de toute la population aux grandes décisions engageant la vie nationale, par une décentralisation effective [5]». Et cette forme d’administration décentralisée offre une marge de manœuvre pour impliquer les jeunes dans le développement local. Elle vise à créer un environnement participatif renforçant la capacité des institutions déconcentrées et autonomes locales à mettre en œuvre des interventions socialement inclusives et créatrices d'emplois. Enfin, elle démontre un niveau élevé de participation des citoyens aux affaires publiques locales.
En fait, notre analyse se concentre sur deux aspects de la collectivité territoriale en Haïti. D’une part, nous étalons notre préoccupation concernant les organes électifs locaux représentant un véritable défi faute d’élections en temps réel, et en même temps, nous montrons les principales opportunités qui existent dans les collectivités. D'autre part, nous nous penchons sur la fonction publique territoriale, qui est un appareil de mise en œuvre des politiques publiques au niveau local, mais qui n'est pas opérationnelle en raison de l'irresponsabilité de l'État central envers les collectivités territoriales.
Depuis plus de 30 ans, certains ont compris que pour participer au développement de la République d'Haïti, il a fallu être parlementaire, c'est-à-dire sénateur ou député. Cependant, un certain nombre d'observations montrent que cette approche n'est pas assez solide pour contribuer au développement local. Car, le rôle principal d'un parlementaire est de proposer des lois et de contrôler l'action du pouvoir exécutif. D’où l’importance des élus locaux au sein des collectivités territoriales comme manager public local ayant pour ultime tâche le développement local et la détermination du bien-être des citoyens au niveau local. Mais, par manque de connaissances, la majorité de la population haïtienne, notamment les jeunes Haïtiens, s'intéressent davantage à la fonction parlementaire. Pourtant, la décentralisation est un système d'administration dans lequel le pouvoir de décision est exercé à la fois par l'État et par des entités juridiques autonomes soumises au contrôle des autorités de l'État. C’est pourquoi, elle reste un élément fondamental dans la mise en œuvre des politiques publiques locales. Parce que, le développement de bas vers le haut (bottom-up) implique activement des communautés locales et des acteurs de terrain dans le processus de développement. Cette méthode renforce aussi la participation locale en partant des besoins, des idées et des initiatives des populations concernées, plutôt que d’imposer des solutions venues d’en haut par l’État central. De ce fait, la décentralisation offre une opportunité unique de s'impliquer dans le développement des communautés rurales. De plus, c'est un moyen plus efficace de parvenir à un développement réel pour les citoyens, qui sont les principaux bénéficiaires des politiques publiques locales.
Les collectivités territoriales constituent une source d’inclusion pour les jeunes dans le développement local et une opportunité d’emploi massif. Tout d’abord, il y a un rapport direct entre les élus locaux et les citoyens. D’où, une compréhension réelle du problème socio-économique que confrontent les citoyens. Ensuite, pour les fonctions électives locales, l'âge moyen pour se porter candidat est de vingt-cinq (25) ans[6]. Cependant, dans un article publié sur le site PNUD (2023) 54 % de la population haïtienne est âgée de moins de 25 ans. Selon les conclusions d’une enquête de l’UNICEF en août 2019, 44 % des jeunes estiment que leurs opinions ne sont pas prises en compte, 26 % se sentent discriminés ou exclus des décisions, et 44 % sont préoccupés par le chômage[7]. Face à ce constat, si les jeunes exigent l’État central de mettre en application les différentes normes juridiques consacrant à la décentralisation par des répertoires d’action collective, cela favorisera l’implication directe des jeunes dans les processus du changement souhaité en Haïti. La constitution de 1987 est le texte légitime de la décentralisation, de plus l’article 21 du décret du 1er février 2006 fixe le cadre général de la décentralisation, de l’organisation et du fonctionnement des Collectivités territoriales haïtiennes… Il stipule que « chaque collectivité est administrée par un organe exécutif : le conseil ; et par un organe délibérant : l’assemblée ». Les membres des conseils et des assemblées sont élus [8] ». De plus, chaque collectivité est dotée d’un conseil technique qui accompagne le conseil exécutif dans la planification du développement local. Ce texte vient de renforcer cette politique.
Dans une conversation avec Dr. Déus Déronneth, député de la 50e législature pour la circonscription de Marigot, expert en administration publique et en gestion et évaluation des collectivités territoriales, il a fait savoir que les collectivités locales peuvent offrir en moyenne 150 emplois par collectivités. D’où, l’importance du décret du 1er février 2006 qui fixe les principes fondamentaux de gestion des emplois de la fonction publique territoriale et de ses établissements publics donne un vaste d’opportunité pour intégrer les jeunes dans la fonction publique territoriale. L’article 6 de ce décret dresse les cadres d'emplois sont répartis en cinq catégories désignées dans l'ordre hiérarchique décroissant par les lettres A, B, C, D et E[9]. L’appartenance des fonctionnaires à une catégorie d’emploi dépend de leur niveau de qualification et de recrutement. Ce décret fait en sorte d’impliquer toutes les catégories sociales aux affaires publiques. Sans compter, l’Institut National de l’Administration Territoriale (INAT)[10], elle est la principale institution chargée de former les fonctionnaires locaux afin de rendre l’administration publique territoriale plus efficace en matière de services et de ressources humaines, avance l’expert.
L’ex Président de la Commission Intérieure et Collectivités Territoriales au parlement haïtien argumente aussi que l'ineffectivité de la décentralisation est une forme d’injustice organisée par l’État central, la principale source de l'insécurité sociale, environnementale, du chômage et de la crise migratoire que connait Haïti depuis deux décennies. Vu l’absence complète des entités locales, à savoir pour les conseils exécutifs : le Conseil Interdépartemental (CID), les Conseils Départementaux (CD), Conseils Municipaux (CM) (Les Mairies), les CASEC, et pour les assemblées délibératives : les Assemblées Départementales (AD), Assemblées Municipales, les Assemblées de la Section Communale ASEC. Enfin, pour les conseils techniques : le Conseil de Développement du Département (CDD), le Conseil de Développement Municipal (CDM), CDSEC pour les sections communales. Le refus des jeunes de retourner dans leurs villes d'origine pour s'impliquer dans les affaires locales affaiblit les collectivités territoriales face à l'État central, où les décisions restent concentrées dans la Capitale. Il est à noter que ces entités sont les principaux espaces décisifs pour l'implication des citoyens, et notamment des jeunes, dans le développement local. Par manque d'éducation et d'information, la population haïtienne n’est pas consciente de l'importance des élus locaux dans le développement local.
Pour conclure, le gouvernement local est un lieu plus approprié pour que les jeunes s'impliquent dans le processus de changement en Haïti et apportent leur contribution tant désirée. Les élus locaux étant des gestionnaires du développement local, ils sont aussi des personnages officiels, comme toutes les catégories de fonctionnaires en Haïti, capables de discuter et de négocier divers types de coopération décentralisée pour le bien-être de leurs communautés. En outre, l'État leur donne droit à tous les traitements qu'un fonctionnaire doit recevoir, comme un passeport officiel et d'autres privilèges, pour n'en citer que quelques-uns. De plus, la fonction publique locale est un espace qui permettra aux jeunes de s'impliquer davantage, tout en valorisant leur domaine d'expertise. Elle peut contribuer à freiner l'exode rural et à réduire la crise migratoire. Les collectivités locales offrent une vaste opportunité aux jeunes d'intégrer et de poursuivre une carrière dans la fonction publique territoriale. La décentralisation en Haïti est une réalité. Elle n'est ni négociable ni discutable par personne. Il suffit de respecter et de faire respecter la Constitution du 29 mars 1987 qui reconnaît l'existence des sections communales, des communes et des départements comme des personnes morales dotées d'une autonomie administrative et financière.
Références
• Constitution haïtienne du 29 Mars 1987
• Loi portant organisation de la Collectivité Territoriale de Section. Communale, 4 avril 1996
• loi fixe l’organisation et le fonctionnement de la Collectivité municipale, 1 février 2006
• Décret portant Organisation de l'Administration Centrale de l'Etat du 17 mai 2005
• Décret fixant les principes fondamentaux de gestion des emplois de la fonction publique territoriale et de ses établissements publics du 1 février 2006
• Décret fixe les modalités d’organisation et de fonctionnement de la Collectivité départementale, 1 février 2006
• Deronneth Déus, Pouvoir central et obstacles à la décentralisation en Haïti: Quel rôle joue la culture nationale ?, Éditions universitaires européennes, 2019
• Gérard Barthélémy, L'univers rural haïtien. Le pays en dehors, Paris, L'Harmattan, 1990
• PNUD : https://www.undp.org/fr/haiti/communiques/la-jeunesse-haitienne-sera-au-coeur-de-la-paix-et-du-developpement-durable-travers-des-forums
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[1] Article 2 du décret portant Organisation de l'Administration Centrale de l'Etat du 17 mai 2005
[2] Ibid. article 24
[3] Article 10 du décret fixant les principes fondamentaux de gestion des emplois de la fonction publique territoriale et de ses établissements publics du 1 février 2006
[4] Décret fixant le cadre général de la décentralisation, de l’organisation et du fonctionnement des Collectivités territoriales haïtiennes, 1 février 2006
[5] Constitution du 29 mars 1987
[6] Article 65, 70, 70 de la constitution du 29 mars 1987
[7] PNUD : https://www.undp.org/fr/haiti/communiques/la-jeunesse-haitienne-sera-au-coeur-de-la-paix-et-du-developpement-durable-travers-des-forums
[8] Décret fixant le cadre général de la décentralisation, de l’organisation et du fonctionnement des Collectivités territoriales haïtiennes, 1 février 2006
[9] Décret fixant les principes fondamentaux de gestion des emplois de la fonction publique territoriale et de ses établissements publics du 1 février 2006
[10] Ibid.